Voici la suite de l’article sur les méthodes de lecture au XXème siècle. Cette partie ne présente que les méthodes dites globales, semi-globales, mixtes, ou encore analytiques.
On dit qu’il s’agit de « méthodes analytiques », puisque l’on part du mot entier pour « l’analyser » et ainsi découvrir les syllabes puis les lettres. On dit qu’elle sont « mixtes » quand elles mixent les deux approches (analytique et syllabique) . Certains les appellent « naturelles », parce qu’elles partent du mot entier, et parfois même de la phrase, et que « naturellement », on s’exprime avec des mots et pas des lettres ou des syllabes.
On peut saluer la créativité et le travail de leurs auteurs, on ne peut malheureusement pas passer sous silence les ravages de ces méthodes : combien de faux dyslexiques, d’enfants en échec, ou tout simplement illettrés à cause de ces méthodes. Il ne suffit pas de dire qu’on ne les utilise plus, il faut les abandonner « pour de vrai »! Ne pas continuer de les utiliser en les renommant « syllabique à départ global« , comme je viens d’entendre cette semaine! Quelle belle façon de dire les choses pour ne pas changer sa méthode! On tomberait sans doute plus facilement d’accord en disant méthode globale à départ syllabique! Mais alors il faut changer de méthode!
Certaines ont de très beaux graphismes, d’autres présentent un vrai travail de recherche de présentation, d’analyse… toutes peuvent être utilisées quand l’enfant à appris le décodage en syllabique, comme premiers livres de lecture… et de façon très intéressante: rechercher des sonorités communes dans les mots, trouver des proximités orthographiques, tout cela est très intéressant, mais quand l’enfant sait lire !
Et vous reverrez peut-être ici la méthode avec laquelle vous avez appris à lire, parfois en peinant beaucoup… Ces méthodes ont toutes en commun de ne favoriser que la mémoire visuelle, donc si vous avez une mémoire auditive ou kinesthésique, vous vous retrouvez dans des difficultés énormes. A une certaine période, les données scientifiques ne permettaient pas cette analyse, mais continuer aujourd’hui de défendre les méthodes globales ou semi-globales, c’est continuer de défendre l’indéfendable !
Voilà un exemple très actuel :
« Trampoline CP est une nouvelle méthode de lecture conforme au Programme 2016 et fondée sur une étude séparée du code et de la compréhension pour une grande souplesse d’utilisation » (catalogue Nathan 2017). Je ne comprends même pas comment on peut séparer le code et la compréhension; on décode pour comprendre, décoder pour décoder n’a aucun intérêt, et mettre les enfants devant un texte plein de mots inconnus n’a jamais favorisé la compréhension ! C’est la même ornière depuis le 19è siècle ! Avec la « Boîte à lettres », l’apprenti lecteur n’a devant lui que de mots qu’il décode ET qu’il comprend…
Voici donc une présentation non exhaustive de méthodes qu’on peut classer dans les méthodes globales :
(c’est toujours la ou les premières pages de chaque méthode qui est présentée)
1924 :
vers 1930 :
1934 :
1945 :
1947 :
(il s’agit ici de l’édition de 1993).
1948 :
« Examiner ces mots, les prononcer, les reconnaître »! (il s’agit de mots complètement nouveaux!)
1949:
(Méthode avec cahiers d’écriture uniquement en script)
1952 :
1953:
Tellement de lettres inconnues sur cette seule page(la première)! Tout retenir visuellement, mission impossible pour beaucoup!
1954 :
Même remarque : il faut placer des étiquettes de mots mémorisés globalement dans un texte inconnu qu’on ne peut redire que par cœur. Quel intérêt ?
1955 :
1957 :
1959 :
1960 :
1964 :
(nombreuses rééditons)
1968 :
1983 :
1987 :
1977 :
1992 :
1994 :
1996 :
En guise de conclusion, je vous redis la remarque très futée d’un petit Jacques de pas encore 6 ans qui avait appris à lire avec la phonomimie pendant l’été, et qui disait le soir de son entrée en CP: » je n’ai rien à faire, je n’ai pas besoin d’apprendre les mots: je sais les lire ! » Facile alors d’intéresser l’enfant à des textes qui développeront la lecture fluide, d’écrire un journal de classe… Il suffit de faire les choses dans l’ordre!
Moins drôle , septembre 2017, Camille, 7 ans, CE 1 avec une méthode « mixte », noyée, fidèle cliente de l’orthophoniste : « je suis bête, je ne sais pas lire »… Vous n’en avez pas assez d’entendre cette souffrance des enfants ?
Quand vous êtes venu au monde, on vous l’a fait découvrir morceau par morceau? Quelle partie du corps de votre papa, avez-vous mis en 1er dans votre mémoire? Et la 2ème ? Etait-ce votre maman qui avait choisi de vous montrer d’abord ces 2 parties du corps uniquement ? Ou n’avez-vous pas plutôt entrevu le monde globalement ? Et reconnu votre papa avant tout par son allure générale ?
Un enfant qui sait reconnaitre une voiture quelle que soit la marque, la couleur, la forme et la distinguer des autres véhicules (bus, tracteur, train, …) est un enfant qui saura lire. J’en suis d’autant plus convaincue si en plus il sait reconnaître une voiture sur une publicité, un livre d’images, …
De même qu’il n’a pas besoin de décortiquer la voiture en [roue + roue + roue + roue + pare-brise + capot + moteur + volant + …], je ne pense pas qu’il soit indispensable de décortiquer les mots en syllabes : « pa-pil-lon » me semble bien plus difficile à lire que « papillon », non ? Et ça n’aide pas d’isoler les 2 l : « ll » ne se lit pas, ne se prononce pas dans « papillon » comme dans « allo »… Vous pouvez aussi évoquer le « ill » différent du « ll » mais pour un enfant de 6 ans ou moins, ça devient tout de suite compliqué, n’est-il pas?
Aucune méthode n’est mauvaise. Mais c’est tout l’art d’apprendre à lire aux enfants que de savoir user des méthodes et de les mixer et le tout de manière très agréable.
NB. Je n’apprends pas à lire aux enfants mais j’ai appris à lire avec Malou, Perlin et Pinpin en 1966 avec une maîtresse très enthousiaste.
Vous n’avez choisi ni la page la plus facile de cette méthode ni une des premières pages. Je connais encore des pages par cœur, et de mémoire, je vais vous réciter celle où on aborde le « p » en méthode globale : « malou coupe une jupe pour sa poupée. » Remarquez au passage que cette vieille méthode joue particulièrement bien avec les sonorités.
Et peut-on reprocher à une méthode de faire travailler la mémoire qu’elle soit visuelle, auditive, émotionnelle ?
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Chère Maryvonne,
Je vous remercie pour votre long commentaire au sujet de l’article sur les méthodes globales. Bien qu’ayant appris à lire sur les genoux de ma mère, j’ai eu en CP la même méthode de lecture que la vôtre : « Malou, Perlin et Pinpin ». Ce souvenir m’a amusée. Mais revenons au sérieux de votre commentaire. L’enfant ne découvre pas son père par « morceaux » ni ne visualise une voiture comme un assemblage de pièces détachées. Pour l’image de ses parents, comme celle de son propre corps, je ne suis pas sûre que l’enfant la découvre directement en son entièreté : l’enfant qui voit ses pieds bouger n’a pas encore notion que ce sont les siens ! Mais là n’est pas le sujet. Les progrès des neurosciences, et notamment les recherches de Stanislas Dehaene, nous expliquent que le cerveau droit perçoit les images tandis que le cerveau gauche perçoit les lettres. On ne peut donc comparer la perception des images à celle des lettres.
« Lire un mot ne ressemble pas vraiment à nommer un objet » (1, p 27).
« Pour apprendre à décrypter les mots écrits, une région particulière du cerveau doit se spécialiser pour ces objets visuels d’un type nouveau » (id.) Il est donc impossible de comparer l’apprentissage du code graphique à la perception d’images.
« Apprendre à décrypter le français demande d’apprendre deux voies de lecture : le passage des lettres aux sons et le passage des lettres au sens » (1 p.20) On est bien loin de la voiture en pièces détachées !
(1) Si vous en trouvez le temps, je vous recommande la lecture du livre de Stanislas Dehaene « Apprendre à lire, des sciences cognitives à la salle de classe » Ed. Odile Jacob, 2011
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