J’aime ressortir la seule photo que je possède de Augustin Grosselin. C’est le seul portrait authentique qui circule sur le web, à croire qu’il n’y en eut pas d’autres !
Ce blog se veut sans polémique, aussi le titre ci-dessus peut-il paraître incongru ! Et pourtant, il est intéressant de connaître les reproches que l’on fit au « procédé phonomimique », qui en soit n’est pas une méthode de lecture, mais qui en devint une quand Marie Pape-Carpentier et Mademoiselle Gaudon, toutes les deux directrices de Salle d’asile au XIXè siècle, en écrivirent un manuel pour les élèves.
Augustin Grosselin est décédé relativement jeune – 69 ans – et surtout assez rapidement d’un cancer, ce qui ne lui laissa pas le temps d’écrire un livre. C’est son fils Émile Grosselin qui écrivit le premier Manuel exposant le procédé phonomimique aidé de Louis-André Bourguin, cousin, ami et biographe d’Augustin Grosselin.
C’est donc Émile qui va défendre l’œuvre de son père contre ses détracteurs, dont la plus virulente semble avoir été une certaine Mademoiselle Marie Matrat, Inspectrice Générale des Écoles maternelles. (1)
Cette controverse vieille de presque 150 ans n’aurait aucun intérêt, si nous n’y retrouvions bon nombre d’arguments que certains nous opposent encore aujourd’hui, à savoir l’inutilité de la gestuelle.
Pour beaucoup aujourd’hui, grâce aux travaux du XXème siècle sur la motricité, notamment ceux de Madame Théa Bugnet, et ceux sur les différents profils d’intelligence, notamment ceux de Antoine de la Garanderie, l’importance du geste dans les apprentissages ne fait plus aucun doute.
Pour d’autres, rejoignant en cela Mademoiselle Matrat, la gestuelle n’est qu’un obstacle au bon apprentissage de la lecture et de l’écriture. La polémique est donc ancienne !
D’autres encore, travaillant sur des thèses et des mémoires en tous genres, écrivent encore un certain nombre d’erreurs sur la méthode de Grosselin. C’est à ces deux derniers groupes que s’adressent les points suivants :
Mademoiselle Matrat traite la phonomimie de « ménagerie pédagogique » (sic), pense que l’enfant doit mémoriser 4 alphabets (lettre, son, geste, histoire) et trouve donc cela très complexe ; ainsi, pour épeler « mouton », il faut faire le geste de la vache, du loup, de l’horloge, et de la surdité ! Dit comme cela, cela paraît même un peu fou ! Mais l’enfant qui a utilisé l’histoire et le geste pour mémoriser la lettre, dit bien une lettre et seulement une lettre avec ses mains, tandis que sa bouche prononce des syllabes. Il n’y a aucune épellation là dedans, au sens usuel de ce mot. Seule la main épelle, la bouche articule les syllabes…
On peut noter en passant que Mademoiselle Matrat est irritée à l’idée que la phonomimie a envahi les salles d’asile, et qu’avec ce procédé, on doit apprendre à lire en 3 mois, six mois pour une classe nombreuse. Il semblerait, à ses dires, que le résultat dépend de la valeur du maître : cela ne marcherait qu’avec ceux « dont la foi transporterait les montagnes » ! On peut raisonnablement penser que cela marche bien avec ceux qui ont été bien formés à la méthode, plutôt que de parler de foi ! On voit aussi que la phonomimie était très répandue et qu’elle marchait plutôt bien.
Mademoiselle Matrat voit pour preuve que la phonomimie est si peu intéressante qu’aucun pays étranger n’a souhaité s’en emparer. Voilà qui oblige Émile Grosselin à préciser que dès 1878, l’Italie disposait déjà de ses propres tableaux phonomimiques, que l’Espagne l’avait déjà exportée en Amérique du Sud et que des essais étaient en cours en anglais et en allemand… Et de nos jours, on sait combien la phonomimie ‘s’exporte’ bien! On aimerait retrouver les fameux tableaux italiens dont il est question !
En 2015, Mesdames Angélique HERRERO et Béatriz DE PABLO PENA écrivent un Mémoire de Master à l’Université de Genève au nom évocateur : « Comment enseigne-t-on à lire? » (2) Elles ont la gentillesse de mentionner Grosselin, mais de quelle façon ! Voilà que la phonomimie a été mise au point « dans les hospices pour les enfants malades, sourds-muets, puis employée dans les écoles primaires avant d’être abandonnée par les enseignants en raison de son contenu très moralisant et d’orientation très catholique des textes proposés… Cette méthode ne permet pas aux élèves d’apprendre les correspondances entre graphèmes et phonèmes ainsi que la combinaison des sons »…
J’aimerais pouvoir demander comme petit travail à ces dames de rechercher dans ce blog comment réfuter toutes ces assertions fantaisistes !
La même année, Madame Rouba Haidar écrit une thèse dont le sujet est « Élaboration et test d’un programme de remédiation aux difficultés en lecture au CP ». (3) Elle aussi nous dit : « Créée au XIXè siècle, elle (la phonomimie, NDLR) s’adressait en priorité aux enfants en difficulté intellectuelle afin de faciliter leur apprentissage de la lecture en utilisant les gestes. La Méthode phonomimique de Grosselin a d’abord été destinée aux enfants sourds-muets »(4)… Elle ajoute que cette pratique semble « utile pour les enfants hyperactifs, du fait qu’elle contrôle leur comportement en les incitant à faire des mouvements corporels qui demandent des efforts. »
Je ne me permets pas de juger la qualité du travail de ces universitaires, sûrement par ailleurs très intéressant, je fais juste remarquer que ce qui est dit sur Grosselin et la phonomimie est erroné, et que toutes ces erreurs sont autant d’obstacles à la diffusion du travail d’Augustin Grosselin.
Mes enfants seront heureux d’apprendre qu’ils ont appris à lire – d’ailleurs fort bien et très rapidement – avec une méthode pour « enfants malades en difficulté intellectuelle » ! Et cependant, on peut reconnaître que si elle a d’abord été conçue pour les petits-enfants – en parfaite santé – d’Augustin Grosselin, elle marche aussi très bien pour les enfants en difficulté, et même les hyperactifs, nous dit Jean-Charles Juhel, cité par Madame Rouba Haidar… (5)
(1) « Quelques mots sur la Phonomimie » par Émile Grosselin, Ed.Alphonse Picard 1882
(2) Maitrise universitaire en enseignement primaire – Université de Genève unige_48188_attachment01-1.pdf
(3) Doctorat en sciences de l’éducation – Université de Mulhouse, 23/11/2015 page 49
(4) Il semblerait que nos deux universitaires aient puisé à la même source, à savoir un ouvrage de Louis Maisonneuve de 2002, « Apprentissage de la lecture, méthodes et manuels » édité chez L’Harmattan. Visiblement, cet auteur n’a pas approfondi ses recherches sur la méthode phonomimique.
(5) « Aider les enfants en difficulté d’apprentissage » – Presses Universités Laval, 1988